C’est l’histoire d’un choix, d’un non-choix, d’une absence de choix. Une tragédie donc.
Trelkovsky n’existe pour personne, arrive de nulle part, n’arrive pas, se perd avant de se définir, ne se reconnaît pas lui-même, dérive, divague, oublie, s’absente. C’est la longue lutte contre le monde, le racisme, l’histoire, la vie, la douleur, la mort, la naissance. L’enfer c’est les autres, les autres qui n’aident pas, les autres qui menacent, oppriment, déforment, acculent, dépriment, renvoient, assassinent, aident pour mieux tuer, dans l’inconscience de leurs quotidiens naturel, dans la confiance de leurs principes, dans la certitude de leur bonne fois, dans l’évidente simplicité des habitudes. Rentrez dans un monde qui ne veut pas de vous et vous êtes perdu.
C’est toute l’histoire de Trelkovsky. L’histoire d’un homme dont on apprend assez vite ses origines polonaises, et dont on ne saura rien de plus. Un nom, une nationalité, ce sont les héros principaux de ce chef-d’œuvre que nous propose Polanski : Le locataire. Etrangement assez autobigographique, il décrypte les méchanismes de la perte de soi et les déchirements des populations émigrés, entre recherche de nouveaux repères sociaux et oubli des racines qui forment pourtant la base de la personnalité. Schyzophrénie donc.
Simone Choule représente l’impossible carcan normatif d’habitudes, de reflexes, de comportements qu’on demandera à Trelkovsky d’avoir. Evidemment la base est superficielle : la marque de cigarettes, le type de boisson pour le petit déjeuner, porter des chaussons, mais il reste que ces habitudes ne sont pas celles de Trelkovsky. On ne connaït pas ses habitudes, on ne peut pas les connaïtres, et le petit monde de Paris ne peut pas comprendre sa douleur, parcequ’il vient d’ailleurs.
Si tout semble pourtant normal, le dialogue est impossible, bilatéralement. Trelkosky ne comprend pas les demandes de ses voisins, et ses voisins ne le comprennent pas. La force de Polanski est de laisser dans le noir cet espace inconnu d’incompréhension ; ne le faisant apparaître que par touches, en avance ou en retard, en décalé sur la réalité, nous mettant nous même dans l’incompréhension, spectateur actifs auquel on ne donne pas plus d’information que le héros, nous n’avons pas un œil préviligié sur l’ensemble du contexte : notre connaissance reste parcéllaire, comme le héros nous devons faire avec ce que nous savons, sans contrôle sur notre envirronement. N’ayant pas de posture omnisciente nous faisons corps avec l’expérience de Trelkosky : comme lui nous ne comprenons pas. Le dialogue devient alors triptyque, mais Trelkosky est seul, alors que les voisins et le public font corps dans une rationnalité débordant le contexte du film. Heureusement, car si l’extraordinaire efficacité de la mise en scène, des jeux de lumières et du scénario devait se poursuivre indéfinniment nous pourrions perdre pied et rejoindre Trelkovsky dans sa folie suicidaire.
Par deux fois nous sommes pris à défauts par le cinéaste : à l’annonce de la présence de voisins qui soit-disant posent des heures durant en face de la fenêtre, et à l’annonce des plaintes des voisins contre Trelkovsky. Il se passe donc des choses en dehors de l’image, un monde entier et vivant qui ne nous est pas montré existe, réagit et donne corps à une histoire dont nous avons une vision parcellaire. On ne nous dit pas tout, et finalement peut être que Trelkosky saccage lui-même son appartement, y amène des filles et fait vraiment un boucan infernal.Ce ne serait pas dur à croire quand on le voit dévaster l’appartement de son amie, à moitié saoul chez les filles de joie et s’arrachant lui-même une dent sur son lit. On ne pouvait pas faire confiance au cinéaste, peut on faire confiance au héros ?
Toute la difficulté est de définir ce héros, qui ne se reconnaît pas lui-même. Le vrai, le faux, le maquillage, le théâtre de la vie pose la question de ce que c’est que d’être soi. Trelkovsky devient fou de ne pas pouvoir se définir : partant de pologne, arrivant en France, il est dans un entre deux indéfinissable, écartelé entre ce qu’on lui demande d’être, de devenir, et ce qu’il est. Est-il possible de s’intégrer dans un nouveau monde, ou bien est-ce une démarche suicidaire ? Il pose la question : « A partir de quand n’est-on plus nous même », est-on un corps, est-on une tête ? Proust dirait que nous sommes aussi un nom. Trelkovsky va perdre les trois : en commençant par recevoir des lettres pour Simone Choule, puis en se déguisant pour lui ressembler, et enfin en l’imitant par le suicide. C’est dans la souffrance que se passe tout processus de rupture d’un pays à un autre, un pays où nous ne devenons plus qu’un nom, dans lequel la solitude est clée. La première chose à laquelle les voisins lui demandent de renoncer, ce sont ses connaissances. Finalement c’est ce à quoi l’immigré est condamné : la solitude. Et c’est la solitude, cet enfermement, ou cette prison, qui va générer chez Trelkovsky une paranoïa suicidaire.
Né en 1933, lui-même Polonais, Polanski immigre en France, en Angleterre, aux USA, subissant toujours diverses pressions de son envirronement. Le Nazisme dans le Ghetto de Varsovie en 1943, les critiques par les communistes Polonais en 1960, le xénéphobisme Français en 1964, et des problèmes avec la police aux Etats-Unis en 1973. Toute sa vie il aura du s’échapper, s’adapter, s’intégrer et se construire dans la fuite. C’est donc dans une forme toute particulière que Polanski explore ses propres expériences et les extrapole dans une oeuvre magistrale qui se referme sur elle-même, comme une douleur sans fin qu’apporte la compréhension d’une fuite éternelle que seule la mort pourrait arrêter, encore faut-il réussir son propre suicide.
Fuir à mourir - Polanski – Le locataire – 1976
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