CHRISTINA VON GREVE - JEUDI 10 DÉCEMBRE, 18H, À LA CLEF


La cinéaste allemande Christina Von Greve travaille depuis plus de dix ans avec le matériau
argentique. Ses films, au demeurant très éclectiques, se focalisent sur une réflexion sérielle et sur la disparition du référent. Elle utilise pour ce faire la répétition du motif, la surimpression,
l'agrandissement. Une partie de son travail concerne le found footage ; elle joue alors sur l’alchimie de la pellicule et sur les va-et-vient entre la lisibilité du photogramme et son recouvrement total ou partiel par des motifs abstraits qui sont le résultat de l’altération du support. L’ensemble de son oeuvre est marqué par une collaboration étroite avec le musicien C-Schulz, co-réalisateur de certains films. La musique et l’image fonctionnent en symbiose pour créer des ambiances tantôt éthérées, tantôt dramatiques. On pourra en juger ci-après

Programme du festival

L'ami américain - Wim Wenders - 1977



4 personnages :

  1. Derwatt : Le peintre américain prétendu mort pour vendre ses tableaux plus chers
  2. Tom : Le recéleur américain de tableaux
  3. Jonathan : L'encadreur allemand (avec sa femme Marianne et son fils)
  4. Raoul : L'ami français du recéleur
Raoul fait croire à Jonathan qu'il est atteint d'une maladie incurable, et lui propose de fortes sommes d'argent s'il accepte de tuer pour lui. Tom ne sait plus où il va dans sa vie et s'allie à Jonathan qui finit par accepter ces plans funestes. Derwatt est quasiment invisible dans le film mais perd la conscience de soi à force de se cacher pour vendre ses toiles.
Argent, libre-arbitre, fascination pour la mort, perte d'identité, forment le socle de "L'ami Américain". Quatre départs pour un monde qui va se décomposer, entre Paris, Munich, New York, et Monaco. Aux deux extrêmes de la chaîne, on trouve deux personnages distants, mystérieux, qui agissent dans l'ombre, sans référentiels, sans familles, sans amis, sans vies : Raoul et Derwatt. Structuration des personnages sur leur rapports à l'art et l'argent : le premier, concentré à tuer et remplir son compte en banque n'existe que par son costume noir et son écharpe blanche ; le second, artiste incompris réduit au silence, existe et disparaît par son art, pour l'argent. Les deux doivent se cacher, accepter les peurs, restreindre leur vie pour l'argent.
Entre eux sont Tom et Jonathan. Le premier achète et revend les toiles de Derwatt : contact commercial avec l'art, mais contact tout de même. Une touche d'humanité vient se peindre sur son personnage, comme une possibilité d'humanité au delà de son caractère vénal et meurtrier. Jonathan lui est au quotidien entrain de créer : les tableaux l'entourent, l'inspirent, le nourrissent. Il a même réussit à avoir une femme et un enfant : une famille heureuse qui vit dans la simplicité d'un immeuble de banlieue.
Wenders propose un idéal de bonheur dans une recherche artistique et désintéressée d'un art de vivre simple rempli de liens humains, principalement familiaux. C'est aussi ce qu'il va s'attacher à détruire tout au long de son film, dans une démonstration magistrale de la fragilité des structures sociales, éducatives et sociétales. Le loup dort dans chacun d'entre nous, inconsciemment, et peut être réveillé par tout prétexte les plus improbables. Une fois réveillé il ne voudra plus se rendormir, jusqu'à la mort. Une mort qui règne sur tous ces anti-héros qui vivent dans l'ombre d'eux même, dans la solitude, dans la nuit, guettant à tout moment le danger potentiel...

On assiste à la transformation hallucinée, inconsciente, droguée de Jonathan, qui va goûter aux joies du sang et finira par attendre fébrilement ses prochaines missions. Le bon père de famille s'est transformé sous nos yeux en assassin récurrent, sans qu'on s'en aperçoive, mais nous comprenons pourquoi : nous ferions la même chose ! Vraiment ?...



Le voyage a Tokyo - 1953 - Ozu

Photo-graphier le temps


Le film d'ozu est l'histoire d'une famille qui se décompose.
Deux vieux parents décident de faire le long voyage vers la capitale pour rendre visite à leurs fils. Arrivés chez ces derniers, ils semblent déranger la vie de leurs enfants. Ne trouvant pas de temps à consacrer à leurs parents, ils leur paient un séjour dans un SPA dans une station balnéaire proche : les liens familiaux sont brisés.
Tout semble pourtant en harmonie : la fille tient un salon de coiffure, son mari est médecin, leurs enfants étudient à l'école, la maison est propre et grande... Aucune raison économique extérieure n'est à blamer pour l'attitude distanciée des membres de la famille les uns par rapport aux autres.

Le vieux couple semble même être le personnage le plus heureux du film : la communication et la compréhension se ressent dans une même observation contemplative du monde. Ils se posent en contre point de leurs enfants qui, si ils ont a priori, "réussi" en travaillant dans une grande ville, habitent néanmoins dans un "quartier trop calme", ne sont que "médecin de second rang", se trouvent des problèmes et ne passe que trop peu de temps ensemble. Les parents arrivent en spectateur d'une vie qu'ils ne comprennent plus, tout en sachant qu'ils sont dépassés : ils savent qu'ils ne comprennent pas, mais désapprouvent, entre eux. Finalement les parents jouent le même rôle que nous : nous avons la même réflexion ; une constatation triste d'un lien familial disparu au profit d'une activité économique vulgaire. La sagesse du couple vient dans la prise de distance, l'observation, le dialogue entre eux, et l'absence de remarques envers leurs enfants.

Malheureusement, au retour de ce triste voyage, la mère meurt, obligeant ses fils à se rendre contre leur grés à son enterrement. Les discours cachés sur l'héritage semblent alors une hérésie pour le public. La tension est à son comble quand les enfants décident de laisser, seul chez lui, leur père, et de rentrer à Tokyo. Reste alors la femme qui leur à montré la ville lors de leurs voyages, et cette phrase terrible du père qui lui dit : " La vie est étrange. Tu as été beaucoup plus gentille que nos propres enfants". Et la force de se film est alors de s'auto-expliciter, s'auto-expliquer. On donne tout au spectateur : les masques tombent, les systèmes à tiroir de qui-sait-quoi-sur-qui s'écroulent et le public est face à une situation claire, dégagée de toute ombre, comme devant un écran blanc qui se transformerait en miroir dans lequel Ozu nous invite à nous regarder : l'universalité du film passe par l'abattement de toutes les cartes, en nous mettant devant les faits révélés, et nous demandant ce que nous voulons en faire, nous laissant seul face à nous même, seul face au monde entier.

Ozu