Regards sur le cinema du monde

 
Depuis 14 ans Camille Jouhair fait bouger l'aglomeration de Rouen avec son festival sur les cinemas du sud de debut d'annees. Des prix abordables (4eur) pour une selection d'une cinquantaine de films de tous les pays du sud.
On trouvera notamment :
A short film about the Indio nacional ~ Raya Martin - Philippines
Ailleurs ~ Julie Rembauville et Nicolas Bianco-Levrin - Animation -
Allô Allô cinéma cadeau ~ Patrice Raynal et David Foucher –
Anbafey ~ Dominique Duport - Guadeloupe - 2008 - 7’
Barcelone ou la mort ~ Idrissa Guiro - France - 2007 - 49’
Boulevard France Afrique ~ Cédric Fluckiger - Suisse - 2008 - 42’
Cinéma(s) d’Afrique(s) ~ Belgique/Sénégal - 2007/2008 - 109’
Get on Da Kar ! ~ Sophie Perrin - Sénégal - 2007 - 52’
Hyènes ~ Djibril Diop Mambety - Sénégal - 1992 - 110’
Keïta ! L’héritage du griot ~ Dani Kouyaté - Burkina Faso - 1995 -
Le trésor des poubelles ~ Samba Felix NDiaye - Sénégal - 1989 - 64’
Les damnés de la mer ~ Rhalib Jawad - Belgique/Maroc - 2008 - 90’
Little Senegal ~ Rachid Bouchareb - France/All/Algérie - 2001 - 98’
Mange ceci est mon corps ~ Michelange Quay - Haïti/France -
Mon nom est Tsotsi ~ Gavin Hood - Afrique du Sud/Grande-Bretagne
N’Djamena City ~ Issa Serge Coelo - Tchad - 2008 - 90’
Nha Fala ~ Flora Gomes - France/Guinée Bissau/Portugal - 1988 - 85’
Pièces détachées ~ Aáron Fernandez - Mexique - 2007 - 95’
Puisque nous sommes nés ~ Jean-Pierre Duret et Andréa Santana -
Si le vent soulève les sables ~ Marion Hänsel - France/Belgique -
Une histoire à ma fille ~ Chantal Picault - France - 2007 - 95’
Vivantes ~ Saïd Ould Khelifa - Algérie - 2006 - 90’
Zulu love letter ~ Suleman Ramadan - Afrique du Sud - 2004 - 105’
 Agnus dei ~ Lucia Cedron - Argentine - 2008 - 90’
 Ah Ma ~ Anthony Chen - Singapour - 2007 - 14’
 C’est dimanche ~ Samir Guesmi - France - 2007 - 30’
 Chemins d’Ô ~ Estelle Gérard - France - 2005 - 26’
 Congo River ~ Thierry Michel - Belgique - 2006 - 116’
 Cuilos ~ Paz Fabrega - Costa Rica - 2008 - 10’
 Ezra ~ Newton Aduaka - Niger/France - 2007 - 102’
 Haïti chérie ~ Claudio del Punta - Italie - 2007 - 99’
 Il va pleuvoir sur Conakry ~ Cheik Fantamady Camara - Guinée/
 Là où je pense ~ Bénédicte Portal - France - 2008 - 4’
 La sangre brota ~ Pablo Fendrik - Argentine/France - 2008 - 100’
 La soledad ~ Jaime Rosales - Espagne - 2007 - 135’
 Le dernier voyage du juge Feng ~ Liu Jie - Chine - 2006 - 101’
 Le rideau de sucre ~ Camila Guzmàn Urzùa - Cuba - 2007 - 80’
 Matopos ~ Stéphanie Machuret - Animation - France - 2006 - 12’
 Mère-Bi ~ Ousmane William Mbaye - Sénégal - 2008 - 54’
 Mirages ~ Olivier Dury - France - 2008 - 46’
 On the Rumba river ~ Jacques Sarasin - RDC - 2006 - 85’
 Une histoire du Tango ~ Caroline Neal - Argentine - 2006 - 84’
 Ver Llover ~ Elsa Miller - Mexique - 2006 - 13’

Le programme complet : ici .

Bon festival !

Un film africain [ N'Djamena City ]

N'Djamena city est donc la capitale du Tchad, ancienne colonie Francaise, autonome depuis 1958.
Le film de Issa Serge Coelo restitue les affres d'un état africain ou le droit disparaît au profit de la violence et des tortionnaires d'un peuple.
Ce film convenu n'apporte aucune réelle information : rien ici d'historique, c'est une critique silencieuse d'un état revoulu, sans aller au bout des choses, et en ne présentant que les aspects les plus choquants / politiques de ce que le spectateur occidental moyen veut entendre (le film aurait été présenté pour la première fois au Canada).
On assiste donc a la torture de pauvres prisonniers qui n'ont rien demande a personne, et ne se sont mémé pas révolte contre le système. Oui, c'est triste et regrettable, mais on sent dans ce film un point d'arrêt, une posture du cinéaste qui ne cherche pas a prendre vraiment position ( personne ne meurt vraiment, les tortures sont assez peu montrées, il y a une happy end...). Cela met le spectateur devant le difficile problème de la critique puisque d'un point de vue technique, ce film est bien bas.
Si le manque de moyen pour la réalisation de film est un problème connu et récurrent, on peut tout de même se poser la question des dialogues, des plans, des prises de vue, du choix des lieux... Rien ici qui ne surprend, pas une image qui ne démontre d'un peu d'originalité, de construction, d'aventure. On est en face d'une évidence qui confirme sa normalité a chaque séquence.
Certes, on me reprochera ce discours très centre sur la qualité cinématographique du film, qui oublierais le caractère rebelle, historique, dénonciateur d'une dictature terrible qui enferme, frappe, tue tout un peuple. Mais je crois que ce film a le niveau d'une bonne reconstitution historique qui pourrait passer a la télévision française avec l'appui de quelques subventions bien placées. On regrette l'absence de noms, de détails historiques, d'information, d'inventivité, qui même sans moyens techniques pourrait sortir ce film du moule tant attendu des dénonciations tardives des systèmes dictatoriaux.

Une (mauvaise) surprise [ Bienvenus chez les ch'tits ]


Peut-être fallait-il le voir au cinéma. Visionné en famille sur un poste de télé, Bienvenue chez les ch'tits nous a laisse tous les trois de marbre. Alors une seule question reste : "pourquoi 20 millions de personnes ont elles plébiscités ce films ?" Mystère : peut être fallait-il être entraîne par un public, une salle pleine qui nous aurait transmis une lecture plus joyeuse de cette plate comédie.
En effet, que retenir de cet heure quarante-cinq de cinéma ? Pas grand chose. Un scénario plat, des gags qui sentent le mauvais vin et la frite grasse : une subtilité pâteuse, que rien ne relève. Peut-être fallait-il aussi aimer les acteurs avant même de les rencontrer a l'écran. Venant du théâtre, et n'ayant fait que peu d'apparitions dans des films de seconde classe, j'avoue, je ne connaissais pas beaucoup ces deux acteurs. Peut être cela me donna-t-il aussi un point de vue plus objectif sur la "performance d'acteur" auquel j'assistais : une performance, comment dire, décevante. Les personnages sont plus qu'appuyés, ils sont caricaturaux, absolument pas crédibles.
On a en fait l'impression d'assister a une petite pièce de théâtre entre amis, a un spectacle de fin d'année, entre bons élèves, qui sent bon la bonne entente mais laisse de cote la recherche de qualités ou de professionnalisme.
Les messages du film sont liquides, inconsistants, vaporeux. Il faut rire, boire et manger: un hédonisme basique, qui laisse le cerveau de cote, et ne cherche que dans le gras le plaisir des viscères. On en ressort avec une désagréable envie de régurgiter ces sketches faciles qui se basent sur la déconnections du cerveau pour appuyer directement sur les commandes crasses du rire bête et méchant.
Forcement, alors, la question de savoir pourquoi 20 millions de français ce sont précipités dans les salles de cinéma reste entière.

L'italie s'auptosie [ Gomorra ]


Gomorra c'est avant tout une affiche: une image d'un gamin au sourire torve, exalté et effrayé de sa mitraillette qu'il pointe sur l'horizon. Les muscles tendus, le corps décharné, pataugeant en slip dans un marécage boueux, le crane rasé, devant l'autre, le vrai caïd, déjà adulte, la posture adipeuse, le sourire clair, l'arme droite, la jambe sûre, du vrai truand habitué à la guerre, aux gangs, à tuer. Ensuite, derrière, il n'y à que l'horizon nu, inhumain, froid, marécage immense qui les entoure, les dépasse, et va les engloutir à jamais non pas dans la terre comme des hommes, mais dans l'enfer de la fange dans laquelle ils ont creusé leur propre tombe. Trois étapes, donc, du nourrisson innocent qui naît autour des mafieux, le devient pour finalement en mourir sans gloire ni honneur. Tel est le programme que nous propose Matteo Garonne avant même l'entrée dans la salle.
On croit voir un documentaire plutôt qu'un film : il n'y a aucun héros dans le scénario. Tout le monde est pourri, tout le monde veut se faire sa place, personne n'ose parler, on ne peut faire confiance à personne, et chacun pour soi au final.

Les personnages sont enfermés dans un système qu'ils ne contrôlent plus, et que plus personne ne controle, où finalement chacun décide pour soi, et pour les autres de la vie de tous. Garonne parle de la destruction des structures : familiales, sociales, de gangs, étatiques, commerciales, d'amitiés...

On assiste à la métamorphose du fils modèle de 9 ans qui commençant par livrer des courses à la mère de son copain, fini par dealer de la drogue puis aider à son assassinat. L'immeuble de quartier se divise en deux clans qui s'entre-tue entre frères et amis d'enfances. Les sous-fifres des gangs décident sans les chefs. La police est quasi absente. Les relations de business se réduisent à des sourires aimables, et l'échange de papiers entre cols blancs, sans aucune vérifications adéquates. Les vieilles relations de familles s'effacent contre la nécessité de "marquer des points et gagner du fric".

Face a cette décomposition du monde des valeurs, les personnages réagissent comme ils peuvent, mais avant tout pour eux-mêmes, et après eux, le déluge, dans une hypocrisie sans honte : que ce soit la fameuse scène de rejet des pêches ou les irrémédiables dégâts sur l'environnement dus a l'enfouissement dans le sol de déchets toxiques non traites, le respect des familles ou de la nature et piétine au profit du confort matériel et de la profitabilité économique a court terme. Les vrais acteurs sont ici : l'hypnotique puissance de l'argent et le mirage du confort matériel. Matteo Garonne propose ces scènes en italie comme les symptôme d'un mal rampant plus global, qu'est le respect et la pollution de nos ressources naturelles. Proposer cette vision dans un pays européen industrialise est d'un pessisme glacial.

C'est un monde drogue, rageur, épileptique, une zone de non droit où éclate une guerre des gangs de plus que décrit Gomorra. Personne n'y échappe et dans notre fauteuil parisien on se dit qu'il y a encore des zones d'ombres dans notre europe-première-puissance-commerciale-au-monde. Un appel a un état de droit (la police est quasi absente de tout le film) qu'un film comme Il Divo ne nous donne pas beaucoup d'espoir de voir apparaître bientôt...

L'italie s'autopsie [ Il Divo ]


Il Divo nous pose problème, à nous, simple spectateurs français : d'un côté le film est magnifiquement tourné, tout en couleurs flamboyantes, musique classique/pop dissonantes, effets spéciaux en ralentis, dialogues pince-sans-rire, décors façon empire, et rythme soutenu... On pense au Parrain, à Marie Antoinette, Matrix, Dune, Citizen Kane, Dobermann...

Mais... d'un autre côté l'histoire nous est complétement impénétrable sans avoir suivi la vie politique italienne depuis les années 70...

Alors, oui, on accepte de combler les trous de notre ignorance par un peu d'imagination, et on apprécie le spectacle :)

Les contrastes sont là des les premières scènes pour nous faire savoir que le double jeu est partout chez soi dans cette italie politique : le gris de Giulio Andreotti le suis dans la nuit de meurtres qu'il se doit d'organiser, mais peut se transformer en une superbe explosion de feu lorsque le cadavre est coincé dans les taules de sa propre voiture. Le contraste est frappant entre le faste lumineux que propose le ciel italien et la noirceur des actes du pouvoir, comme si l'italie avait le don de transformer ses ressources naturelles en puante débauche.

La musique aussi propose se double visage, avec la belle musique classique de la représentation et de la culture qui s'accorde bien avec les lieux antiques du pouvoir de Rome. Et la musique moderne qui s'introduit de temps en temps, rampante, comme preuve sonore de la simultanéité des genres : ceux qui tuent en dehors sont les même que ceux qui écoutent Mozart sous les ors de la républiques. Seul la musique peut le dire aux oreilles de tous, les hommes, eux, doivent se taire.

Le temps aussi donne le temps à la politique pour se mettre en place : l'arrivée au ralenti des chefs mafieux renvoie à l'installation sure mais lente de ces chefs qui semblent désormais indéracinables du paysage italien. Le temps aussi, d'un film de deux heures, qui installe suffisamment ses personnages pour nous les faire ressentir pleinement.

Toni Servillo est impeccable dans le rôle du politique-politicien, incarnation vivante du pouvoir qui-n'en-n'a-pas-l'air, dur et détaché de tout mais à qui sa femme raccroche au nez sans complexes.
Cet être à double jeu qui ne se dénoncera à la fin que devant un public imaginaire, car il lui est impossible de dénoncer le système et ce, "pour le bien de la nation". Impossible de se dénoncer à lui même tellement il croit-en, et aime-ce qu'il fait.

C'est une Italie qui se perd dans les méandres de sa politique boueuses que nous propose de rencontrer Paoloa Sorrentino. On aimerait bien le suivre et s'enthousiasmer de son explication, mais malheureusement il reste inaccessible et ne nous donne pas le temps de saisir les subtilités de son discours (fort bien construit au demeurant).


La déliquescence de la lutte ? [ Louise - Michel ]


La longueur de la page de wikipédia sur louise Michel m'a surpris: j'ignorais tout de cette femme révolutionnaire du 19è siècle avant que de voir le film éponyme.
Que dire alors de la réduction crasse de cette vie bouillonnante d'héroïne française, en soupe moite de revendication semi-sociales ?
Les sketches Grolandais qui structurent le film ne peuvent que rendre perplexes tout autre spectateur qui ne serait pas fan de ce genre. Je n'ai pas entendu beaucoup de rire dans la salle, et je m'étonne de voir tant de louanges de la part de certains.
Yolande Moreau, oui, en effet, est parfaite dans le rôle de l'in-alpha-bête stupide et pataude qui fonce dans les murs et la crasse tel un antihéros de banlieue. Depuis les déchiens elle excelle dans ce rôle, à se demander si elle saurait en tenir d'autres...
Quant à la dénonciation du capitalisme et de la difficulté de la lutte sociale... Oui, effectivement, le thème est là, en toile de fond, gâté par l'incompréhension global qui ressort du film, dans lequel on peut tout aussi bien lire la folie débile d'une bande de cinglés aux limites du crédible.
Et c'est là que la question se pose: à déconnecter à tel point la forme du contenu, comment y voir, y associer une représentation de la réalité ? Est-ce à dire que la société se délitère à ce point qu'elle engendre ces monstres insalubres qui moisissent dans l'ignorance de la beauté et l'aliénation indomptable ?
Si c'est le cas, ce film est un chef d'oeuvre, si non c'est une erreur.

Bonne année 2009 !

La Caméra Imaginaire sort de son hibernation et revient à la vie pour cette dernière année de la première décennie du 21e siècle !
On remarque dans l'actualité que le concept même à l'origine de La caméra imaginaire (le cinéma comme filtre pour voir le monde) est repris par les institutions: la première édition du festival Un état du monde... et du cinéma se définit comme " un lieu de débats et de rencontres autour de l’actualité telle que le regard des cinéastes nous propose de la voir et de la questionner".
On ne peut que se réjouir de cette nouveauté qui confirme la pertinence de notre angle d'écoute du cinéma actuel.
Sur ce, bon 2009 et bons cinés à tous !