Tchapaev - Frères Vassiliev - 1934


Le héros inventé


Basé sur une histoire réelle, quand Tchapaev sors sur les écrans, le film fait l'effet d'une bombe : remportant le premier prix du festival international du film de Moscou, attirant pas moins de 30 millions de russes dans les salles obscures, joué deux ans sans interruptions à Saint Péterbourg, vu 30 fois par Staline, utilisé pour une collection de timbre, célébré pendant des décennies en Russie et à l'étranger (USA : meilleur film étranger, 1935 ; Italie : Médaille de Bronze à Venise en 1946 ; dans la liste des 100 meilleurs films du siècle en 1964) ; Tchapaev donne au peuple russe une vision héroïsé de lui même : ignorant mais juste, mal éduqué mais intelligent, tragique mais valeureux.

Chef de l'armé, Tchapaev se dresse face à ses troupes avec la force d'une conviction ancrée dans le bon sens, ses origines populaires, et une volonté de justice pour tous. Prêt à démissionner pour sauver un fidèle compagnon injustement trainé en justice ; Prêt à rester seul au front pour laisser un jeune couple se sauver ; Prêt à récompenser d'osées mais réussies tactiques militaires ; Tchapaev n'en n'est pour autant pas moins un véritable chef. Il sermonne ses troupes qui pillent les paysans; il renvoie les déserteurs sur le champ de bataille ; il réprimande les meneurs de mutinerie. Mélange de force et de bienveillance, Tchapaev est aussi un moujik, issu du peuple, qui n'a apprit à lire il y a seulement deux ans, mais qui connaît déjà toute l'histoire de Napoléon et des grands stratéges, et qui veut maintenant lire sur Alexandre Le Grand.
Expérimenté mais sans famille et sans enfant, il devient le père de tous; les autres personnages comme les russes eux même. La fusion est immédiate entre un peuple qui cherche des héros d'une révolution qu'il ne comprend plus, dont il subit toujours les méfaits avec la collectivisation imposée par Staline et qui apporta une famine de deux ans (1932-1933).
Boris Babochkine (Tchapaev)

Ce film sort donc à point pour redorer le blason d'une politique complexe qui n'est guère satisfaisante. Car Tchapaev est apolitique. Il ne sait pas pourquoi ou pour qui il se bat (les bolchéviks ? Les communistes ? La 2nd international ? La 3e internationale?). Nous non plus, et là n'est pas le sujet. Les références héroïques de Tchapaev se placent ailleurs que sur le champ du politique. Ce sont des capacités humaines de compassion, de droiture, de leadership qui donnent à Tchapaev toute sa valeur. Ces qualités sont indépendantes des guerres de partis qui ont fait et vont faire rage en Russie durant tout le 20e siècle. Et Tchapaev est un leader du peuple, le peuple le suit, et Staline de même, par un intérêt politique évident.
Timbre soviétique célébrant les 30 ans du film

Tchapaev ressemble à tous les héros du cinéma d'action : de Zoro à Rambo. Soldat de l'armée, il traverse la plaine au triple galop l'épée à la main, passe au travers des balles, affronte seul une armée entière, traverse à la nage une rivière sous le feu de l'ennemi, crée des tactiques qui surprennent l'adversaire !... La structure du héros d'action est là : la même depuis 80 ans !

Les scènes d'actions sont prenantes, un vrai suspens est crée, avec des effets spéciaux similaires à ceux d'aujourd'hui (on note même un mouvement de caméra dans un plan à l'intérieur d'un batiment !) : les balles fusent de partout, les bombes explosent, les mitraillettes mitraillent, les bâtiments prennent feu, les murs s'écroulent : on dirait Hollywood !

On notera l'usage intéressant fait de la profondeur de champ : dans plusieurs scène le focus est fait sur un acteur, à gauche du cadre, laissant apparaître une vaste pièce derrière lui. La profondeur de champ est alors assez faible. Un second acteur interagit avec le premier en venant dans le focus ou en sortant du focus; devenant alors flou. La scène de fond, elle, est toujours flou, mais le premier acteur reste net tandis que le second passe du flou au net durant la scène.
On notera aussi la première apparition au cinéma, à notre connaissance, d'une femme tirant à la mitraillette :




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